A Carros, comme si vous y étiez - ou presque - épisode 1

Publié le par comité 31

 

TABLE RONDE N° 1 :

L’avenir de la monnaie unique et de l’industrie en Europe.

Quelle monnaie pour quelle industrie en Europe ?

 

L’industrie européenne souffre d’un euro cher qui affaiblit sa compétitivité et provoque de nombreuses délocalisations. Simultanément, la monnaie unique arrive à épuisement avec la crise de la dette souveraine, qui exacerbe les logiques centrifuges. La perspective d’un éclatement de la zone euro, hier improbable, est jugée inévitable aujourd’hui par de nombreux observateurs. Quelle politique monétaire doit être imaginée au service de la croissance et de l’emploi ? Peut-on encore « sauver » l’euro et à quelles conditions ? A défaut, faut-il en organiser la sortie et comment ? Quelles en seraient les conséquences ?
   

 

Animation :


Julien Landfried, Secrétaire national du MRC, chargé de la communication


Intervenants :


Alain Cotta, professeur d 'économie


Yves Le Henaff, directeur de banque


 

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             En préambule, Julien Lanfried a rappelé les positions de Jean-Pierre Chevènement sur l'avenir de l'euro : soit un changement des règles du jeu pour la zone euro (monétisation de la dette par la BCE, taux de change plus compétitif) qui implique une modification des traités (c'est le plan A) soit la transformation de l'euro en monnaie commune pour les transactions extérieures avec un nouveau « serpent monétaire » permettant des ajustements des monnaies nationales pour que les pays aujourd’hui asphyxiés retrouvent une compétitivité raisonnable (c'est le plan B).



 

              Le professeur Alain Cotta a ensuite dressé un état des lieux particulièrement pessimiste. Il a tout d'abord déploré l'incroyable désinformation qui règne dans le domaine économique. La plupart des économistes présents dans la presse et sur les plateaux TV sont payés par le pouvoir financier. Et si par exemple, ils ont clairement souligné à l'occasion de la crise de solvabilité des USA que la Chine possédait 1200 milliards d'obligations américaines, ils ont sciemment omis de préciser qu'elle avait également en caisse 600 milliards d'obligations européennes (dont françaises). De même, les diagnostics catastrophiques concernant l'avenir de l'euro venant de nombreux experts internationaux ne sont jamais relayés chez nous. La situation des banques – le Crédit Agricole notamment - minées par la dépréciation des obligations grecques et qui ne peuvent rester solvables que par les liquidités que leur apporte la BCE n'est pas plus évoquée.

(notons bien sûr que ces propos tenus le 03 septembre seront en grande partie confirmés par les faits quelques jours plus tard)

 

                   Le bilan de l'euro se résumant à un chomage de 10%, une croissance quasi nulle et un déficit du commerce extèrieur de 3%, l' alternative est donc de sortir de l'euro ou de mourir à petit feu.

Alain Cotta identifie 3 sorties possibles et raisonnables de la crise actuelle :

  • l'euro devient une monnaie commune (notre plan B).
  • l'euro se scinde en 2 monnaies : l'euro-sud et l'euro-nord.
  • l'Allemagne sort seule de l'euro.

   

               Mais pour des raisons politiques, aucune de ces solutions ne sera vraisemblablement adoptée. L'Allemagne ne prendra jamais une telle initiative et en France, la classe politique est allée beaucoup trop loin dans le fédéralisme pour faire marche arrière comme le prouvent les récentes déclarations sur l'euro (quasi similaires) d'Alain Juppé et François Hollande. Le PS n'ose même pas évoquer clairement la nationalisation des banques.

            Dés lors, la sortie la plus probable viendra des politiques d'austérité mises en place actuellement et qu'Alain Cotta juge démentes au regard du « processus cumulatif », béaba de la science économique. La récession qu'elles vont immanquablement entrainer et les désordres sociaux graves qui en résulteront provoqueront la fin de l'euro.

 

               Le point de vue d' Alain Cotta sur les capacités de ré-industrialisation de la France est plus fataliste encore. L'industrie manufacturière traditionnelle est déjà partie ailleurs et « ce qui est parti ne peut revenir aussi simplement » même en changeant de politique économique. Par ailleurs, la France n'a pas de tradition dans l'industrie mécanique (« on n'a jamais fabriqué un seul frigidaire »). Reste donc les nouvelles technologies dîtes « industries de l'information » mais qui sont peu créatrices d'emploi. Alain Cotta a qualifié de pantalonnade la récente mission parlementaire consacrée à la réindustrialisation. 



 

                 Conscient que le moral des militants ne pouvait descendre plus bas, Yves Le Hénaff a avoué d'emblée que selon lui, la crise de l'euro était irréversible car elle tient à des déséquilibres qui sont à la fois commerciaux, financiers et économiques. Le processus de mondialisation (Acte Unique, traité de Maastricht) combiné avec l'intégration de la Chine dans l'OMC ont provoqué des déséquilibres commerciaux. Les libéraux ont confié à la finance la gestion de ces déséquilibres par exemple en abolissant la distinction entre banque d'affaire et banque de dépôt. Ce qui a provoqué des déséquilibres financiers dont la résolution a elle-même emmené une crise monétaire. Si l'Europe n'avait pas de monnaie unique, elle pourrait au moins affronter celle-ci avec les instruments classiques de résolution (variation de taux de change) mais comme les pays européens n'ont qu'une seule monnaie, les déséquilibres réels s'accentuent (les salaires ont baissé au Portugal et en Espagne) et la crise monétaire en quelque sorte ne peut absorber les autres crises (économique puis financière)

Dans ce contexte, même les euro-bonds (euro-obligations) apparaissent comme une solution astucieuse mais conjoncturelle, les déficits réels restant ce qu'ils sont. Qui plus est, ils n'ont aucune base juridique. La BCE est certes totalement sortie du cadre des traités européens mais son président Jean-Claude Trichet a bien précisé que cela restait exceptionnel. Les traités demeurent et il faut quand même les changer.

                      L'idée d'un gouvernement économique de la zone euro va dans le bon sens, mais cela suffira-t-il ?

                           Celui-ci devrait se donner pour tache de rééquilibrer les balances de paiement entre pays européens, c'est à dire procéder à une politique d'aménagement du territoire, l'Allemagne devant accepter par exemple que l'Espagne ou l'Italie aient des industries de pointe.

                   Dés lors, on comprend que l'essence du problème est politique : Les européens ne forment pas un seul et même peuple. Il est donc difficile qu'une telle politique voit le jour.

             Cette question des peuples se retrouve dans les exigences qui sont formulées à l'égard de la Grèce et qui ignorent l'Histoire de ce pays. La Russie, la France et le Royaume-Uni qui la libérèrent de l'Empire Ottoman en 1829 exigèrent en échange un rétribution qui endetta lourdement le pays pendant 60 ans. On peut y voir l'origine d'une défiance envers l'État, d'un manque de structuration de celui-ci (difficulté à percevoir l'impôt) et aussi des autres péripéties politiques que ce peuple a subi (régime des colonels...) qui ont ajouté à la fragilité de l'État.

              Surtout, les dirigeants des pays européens ne savent pas ce qu'ils veulent. On n'a jamais dit quel euro on voulait et la construction européenne n'a jamais eu de but. Elle a été considérée comme une fin en soi. Les fédéralistes lorsqu'ils ont essayé de lui donner un projet ou simplement un idéal ont révélé des aspirations contradictoires.



 

               Julien Landfried a lancé le débat sur la question de la monétisation de la dette. Est-ce une bonne solution ? Celle-ci (la Banque Centrale augmente la masse monétaire pour que les états disposent de liquidités et ce, en échange de bons du Trésor) massivement appliquée aux USA et plus généralement par toutes les banques centrales (hors zone euro) a été interdite à la BCE (ainsi qu'à toutes les banques centrales nationales de la zone euro) par le traité de Maastricht (art 104) et aujourd'hui le traité de Lisbonne (art 123)

             Pour Jean-Pierre Chevènement, si la BCE se donne un rôle très clair de monétisation (pas seulement à titre exceptionnel) cela aura l'effet de stopper la spéculation sur la dette des pays européens . Mais politiquement, on se demande quand l'Allemagne donnera son aval à cette politique ou quand la France la demandera avec force, cessant de « sanctuariser » le couple franco-allemand.

 

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Le débat avec la salle a permis d'aborder d'autres questions.

  • L'inflation : Alain Cotta a affirmé que seul le recours à une forte inflation combiné avec la transformation de l'euro en monnaie commune pouvait empêcher le fort chômage que connaissent les pays européens de durer sur le très long terme. Jean-Pierre Chevènement a rebondi en affirmant que pour le conseil des gouverneurs de la BCE l'inflation était toujours considérée comme le diable et qu'ils fixaient un dogme absurde en maintenant son taux à 2% tout en sachant pertinemment que la contrepartie en était un taux de chômage à 9% (théorie du NAIRU "Non accelerating inflation rate of unemployment"). Une inflation annuelle à 4% redonnerait de l'air à notre économie. La concurrence des pays à bas coût empêchant celle-ci de grimper aux taux qu'elle avait sous Giscard (12-13%). Reprenant l'expression de Bruno Moschetto (qui interviendra dans la table ronde n°3) il a parlé de fixismes à abattre tant à propos du taux d'inflation que d'une certaine dose de protectionnisme à l'échelle européenne. Des taxes corrigeant les écarts de salaire avec les pays émergeants prouveraient que l'industrie en France n'est pas finie et démentiraient les sombres perspectives d'Alain Cotta.

  • Le rôle de la Chine : Alain Cotta a confirmé que les chinois étaient devenus les maîtres du jeu (les créanciers du monde) Ils n'ont commis aucune erreur, ont obtenu des USA une parité fixe entre le yuan et le dollar, ce qui empêche désormais ces derniers de dévaluer.

  • Keynes : A une question de la salle, Alain Cotta a répondu que l'idée de Keynes d'une banque mondiale et d'une monnaie commune (à la planète) adossée à l'or restait dans la situation actuelle théoriquement pertinente mais impossible politiquement à mettre en œuvre. Par ailleurs, personne ne sait où se trouvent aujourd'hui les réserves en or.

 

En guise de conclusion, Yves Le Hénaff a rappelé que les marchés financiers étaient des géants aux pieds d'argile et que leur force résidait dans le bluff.

 


Publié dans Université d'été

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